Compte-tenu du rythme et de l’ampleur de l’effort à fournir dans la lutte contre le réchauffement climatique, il devient indispensable de prendre en compte dès maintenant son impact sur l’économie. La Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique, dont France Stratégie assure le secrétariat et qui bénéficie de l’appui de l’Inspection générale des finances. Le rapport de synthèse publié en Mai 2023 vise à améliorer la compréhension des impacts macroéconomiques de la transition climatique, en sorte que les décisions qui vont devoir être prises soient « le mieux informées possible ».
1. La neutralité climatique est atteignable. Y parvenir suppose une grande transformation, d’ampleur comparable aux révolutions industrielles du passé. Mais au regard de celles-ci cette transformation sera globale, plus rapide, et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés.
2. Cette transformation repose sur trois mécanismes économiques :
a. la réorientation du progrès technique vers des technologies vertes,
b. la sobriété (définie comme la réduction des consommations d’énergie qui ne découle pas de gains d’efficacité énergétique), et
c. la substitution de capital aux énergies fossiles.
3. Nous ne sommes pas durablement condamnés à choisir entre croissance et climat. À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible.
4. Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. L’accélération est brutale, tous les secteurs vont devoir y prendre leur part. Pour se contraindre à tenir leurs engagements, l’Union européenne et la France devraient s’imposer le respect de budgets carbone, pas seulement de cibles en 2030 et 2050.
5. À l’horizon 2030, la transformation reposera principalement sur la substitution de capital aux énergies fossiles : la sobriété contribuera à la réduction des émissions, mais pour 15 % environ, en tout cas pour moins de 20 %. Sobriété n’est pas nécessairement synonyme de décroissance et peut de plus être source de bien-être.
6. Dans les dix ans à venir, la décarbonation va appeler un supplément d’investissements d’ampleur (plus de deux points de PIB en 2030, par rapport à un scénario sans action climatique). Malgré des progrès récents, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de la neutralité climatique.
7. D’ici 2030, le financement de ces investissements, qui n’accroissent pas le potentiel de croissance, va probablement induire un coût économique et social. Parce que l’investissement sera orienté vers l’économie de combustibles fossiles, plutôt que vers l’efficacité ou l’extension des capacités de production, la transition se paiera temporairement d’un ralentissement de la productivité de l’ordre d’un quart de point par an et elle impliquera des réallocations sur le marché du travail.
8. Plus largement, la transition induira un coût en bien-être que les indicateurs usuels (PIB) mesurent mal. Les réglementations ne sont pas plus indolores que la tarification du carbone.
9. La compréhension des effets de la transition nécessite d’articuler différents niveaux d’analyse : technique, microéconomique au niveau des sous-secteurs concernés, local parfois, macroéconomique pour comprendre les enchaînements d’ensemble, internationale compte tenu des enjeux de compétitivité et de coordination. Il faut continuer à investir dans l’amélioration des outils utilisés pour apprécier les incidences économiques de l’action climatique dans toutes ces dimensions.
10. La transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu. Même si l’investissement est rentable, il n’est pas nécessairement finançable sans soutien public. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti.
11. Pour soutenir les ménages et les entreprises, les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l’effort. Compte tenu des dépenses nouvelles comme de la baisse temporaire des recettes liée au ralentissement de la croissance, le risque sur la dette publique est de l’ordre de 10 points de PIB en 2030, 15 points en 2035, 25 points en 2040, en supposant que la baisse des recettes assises sur l’énergie est compensée.
12. Il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique. Sauf à parier sur la technologie, ce ne pourrait qu’accroître le coût pour les finances publiques et l’effort nécessaire les années suivantes pour atteindre nos objectifs climatiques. L’endettement public n’est pas le premier instrument de financement de la transition. Contraindre à l’excès la possibilité d’y avoir recours risque cependant de compliquer encore la tâche des décideurs publics.
13. Pour financer la transition, au-delà du redéploiement nécessaire des dépenses, notamment des dépenses budgétaires ou fiscales brunes, et en complément de l’endettement, un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire. Celui-ci pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.
14. Pour les dix ans qui viennent, la transition crée un risque de configuration inflationniste. Dans un contexte de brouillage sur la mesure de l’inflation, les banques centrales vont devoir préciser leur doctrine et expliciter leur réponse aux pressions sur les prix qu’induira la transition. Elles doivent au minimum conduire la politique monétaire avec doigté, et sans doute même opérer un relèvement temporaire de leur cible d’inflation.
15. L’Inflation Reduction Act américain témoigne de ce que convergence des ambitions climatiques n’implique pas la convergence des stratégies. L’hétérogénéité des politiques climatiques est appelée à perdurer.
16. L’Union européenne fait face à un sérieux problème de compétitivité. Elle souffre d’un prix élevé de l’énergie, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est un dispositif imparfait, qui limite les fuites de carbone mais ne traite pas au fond la question de la compétitivité, et le pari industriel européen est mis en cause par l’IRA. L’Union européenne ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire.
17. L’articulation entre politique européenne et politiques nationales doit être repensée. Aujourd’hui l’Union fixe les objectifs mais elle laisse les coûts politiques et les coûts financiers correspondants à la charge des États et prend appui sur une coordination indicative, dont l’effectivité est incertaine. L’Europe ne peut pas se permettre d’afficher une grande stratégie climatique tout en restant dans le flou quant à sa mise en œuvre effective. Il importe qu’elle définisse et mette en place une nouvelle gouvernance climatique à la mesure de son ambition.
18. La bonne méthode pour piloter la transition doit reposer sur un équilibre entre subventions, réglementation et tarification du carbone. Mieux que les États-Unis ou que la Chine, l’Europe et la France combinent aujourd’hui les trois instruments. En dépit des difficultés politiques et sociales, il ne faut pas renoncer au signal-prix, qui permet d’orienter les décisions de façon décentralisée.
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