Le professeur Michael Graetzel est le concepteur des cellules à colorants qui portent son nom, et un pionnier des cellules perovskite. Dans son laboratoire de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, il travaille également au développement du solar-to-fuel. Ce grand chercheur nous livre son regard sur les principaux enjeux du solaire aujourd’hui.
Les cellules à colorants ont été développées dans les années 1990 et c’était une révolution : à l’époque, tout ce qui était photovoltaïque c’était des jonctions p-n, fabriquées en grande majorité avec des cristaux de silicium. On est venus avec un tout autre principe, celui des plantes vertes. Sous la lumière du soleil, la chlorophylle crée des charges électriques dans la feuille verte qui sont transformées par des réactions électrochimiques : ce système très sophistiqué m’a toujours énormément intrigué.
On a commencé avec des colorants qui singent l’action de la chlorophylle, mais ces systèmes marchent très mal avec des supports conventionnels : les électrodes lisses comme support du colorants donnent des rendements dérisoires. On travaillait sur des systèmes nanocristallins, on a essayé de sensibiliser ces particules avec des colorants et on a constaté que ça marchait très bien. Personne n’y croyait, j’emportais partout une cellule avec moi pour convaincre mes collègues ! Et puis il y a eu un essor énorme de recherche, et des développements industriels. On peut utiliser cette cellule pour faire du verre coloré qui capte les photons des deux côtés et qu’on place sur des balustrades et des façades. La cellule à colorant est imbattable sur la captation de la lumière ambiante, avec de très hauts rendements.
« On est au seuil d’un développement industriel des cellules perovskite. »
Le perovskite, ça date de 2009. Au lieu de molécules organiques, des chercheurs japonais ont commencé à utiliser du perovskite pour sensibiliser nos cellules. Ensuite, en 2012, plusieurs groupes, dont le nôtre, ont remplacé l’électrolyte par des conducteurs de trous solides. On a commencé avec des rendements de l’ordre de 3 %, et aujourd’hui on est à 25,5 % : c’est déjà mieux que le silicium polycristallin. Se développent aussi des solutions hybrides qui combinent les piles silicium avec les perovskites. En dix ans, c’est devenu une avalanche : il y a eu plus de 15 000 publications sur les perovskites, toutes sortes d’industries ont des productions pilotes. On est au seuil d’un développement industriel.
Au plan mondial, le photovoltaïque ne contribue qu’à 0,5 % de l’approvisionnement énergétique. Aujourd’hui, la consommation de puissance mondiale est de 18 Térawatts, et elle va passer à 50 d’ici 50 ans. Le photovoltaïque doit donc impérativement augmenter sa capacité d’un facteur 200 dans le même temps pour prendre le relais des sources fossiles, si on veut tenir les objectifs de la COP21.
« Le photovoltaïque doit augmenter sa capacité d’un facteur 200 dans les cinquante prochaines années. »
Les perovskites ont un rôle important à jouer, notamment parce que les marges sont trop faibles dans le silicium, ce qui limite la capacité d’investissement, et parce que son empreinte carbone reste élevée. Le perovskite utilise également beaucoup moins de matériaux, puisqu’on travaille avec des couches 500 fois plus minces que celles de silicium. Ce n’est pas une solution parfaite : ce sont des composés qui contiennent du plomb, et leur stabilité n’a pas encore été testée suffisamment dehors, en conditions réelles. Mais il y a énormément de recherche, des découvertes qui montrent des effets extraordinaires. On est sur une très belle piste.
C’est un sujet extrêmement important, et c’est le troisième pilier de notre recherche. Le solar-to-fuel est un secteur qui croît en Europe : l’Union européenne soutient la conversion de CO2 en produits chimiques qui peuvent être utilisés comme sources d’énergie, comme l’hydrogène. Nous y croyons absolument. Nous travaillons par exemple sur la conversion de CO2 en éthylène, et on a réussi à photolyser l’eau, à la dissocier en hydrogène et oxygène, avec un rendement dépassant les 18%. C’est très élevé, je n’aurais jamais osé y croire ! C’est un domaine absolument porteur.
« Nous croyons absolument dans le solar-to-fuel. C’est l’avenir. »
Le transfert industriel est déjà en train de se faire. En Allemagne par exemple, la partie énergie de Siemens développe des photosystèmes qui produisent du monoxyde de carbone à partir du CO2, à la suite de quoi une réaction biologique forme des alcools, sans appui énergétique. La conversion de CO2 en éthylène est aussi un sujet qui fait rêver les pétroliers ! Nous travaillons avec sept ou huit autres laboratoires au niveau européen sur ce sujet ; la tâche des industriels associés est d’augmenter l’échelle. Le solar-to-fuel, c’est l’avenir. Il faut attaquer ce défi de plusieurs façons, et si on a des gens compétents qui font leur travail avec acharnement, je crois qu’on aura du succès.
On parle ici de deux grandes approches : d’un côté la photo-électrolyse, de l’autre la photo-catalyse. Dans le premier cas, la combinaison des piles photovoltaïques avec des électrolyseurs a le vent en poupe, car ils sont plus simples à réaliser et ont des rendements plus élevés. Mais il y a encore des défis, notamment sur la photocatalyse : il faudra investir du temps et de l’expertise pour rendre ces systèmes stables. Il nous faut développer de nouveaux catalyseurs qui réduisent les pertes électrochimiques et augmentent les rendements.
Du côté de la réduction de l’eau en hydrogène, les catalyseurs utilisent des métaux nobles ou toxiques : il faut donc développer des catalyseurs avec des matériaux plus abondants. De plus en plus de gens s’intéressent à ces questions, c’est un domaine absolument porteur.
Tout est une question de prix : si on veut vendre de l’hydrogène, il faut qu’il coûte moins de 4 € le kilo. Si le système photovoltaïque et électrolyse permet de faire de l’hydrogène à ce prix, on peut aller sur le marché. Pour ce qui concerne la réduction du CO2, Siemens a des installations pilotes à la sortie de ses usines, qui captent le CO2 et le convertissent grâce à la lumière du soleil et l’électrocatalyse. Ça a donc déjà quitté les laboratoires, et les calculs montrent que c’est rentable. Aujourd’hui, l’hydrogène vient de sources fossiles, mais le CO2 va devenir payant : c’est là qu’il y a aussi une bonne chance pour l’hydrogène solaire. D’ici cinq ans, je pense qu’on verra apparaître les premières installations.
Ils ont tout ce qu’il faut, c’est enviable comme situation ! La France a une puissance et une excellence de recherche énormes, particulièrement dans ce domaine. Il est important d’abolir les barrières entre les disciplines et les types d’acteurs car personne ne peut résoudre ces problématiques seul : les défis sont énormes, il reste beaucoup à surmonter. Toute cette spécialisation et cette expertise dont dispose l’IPVF, c’est à mon avis un énorme avantage.
« Il est important d’abolir les barrières entre les disciplines et les types d’acteurs pour surmonter ces défis. »
Ceci étant dit, la recherche de base reste très importante, c’est la clé de tout. La liberté et la curiosité du chercheur, sa motivation, c’est fondamental.
Feel free to contact us for more information about our offers.
Le professeur Michael Graetzel est le concepteur des cellules à colorants qui portent son nom, et un pionnier des cellules perovskite. Dans son laboratoire de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, il travaille également au développement du solar-to-fuel. Ce grand chercheur nous livre son regard sur les principaux enjeux du solaire aujourd’hui.
Les cellules à colorants ont été développées dans les années 1990 et c’était une révolution : à l’époque, tout ce qui était photovoltaïque c’était des jonctions p-n, fabriquées en grande majorité avec des cristaux de silicium. On est venus avec un tout autre principe, celui des plantes vertes. Sous la lumière du soleil, la chlorophylle crée des charges électriques dans la feuille verte qui sont transformées par des réactions électrochimiques : ce système très sophistiqué m’a toujours énormément intrigué.
On a commencé avec des colorants qui singent l’action de la chlorophylle, mais ces systèmes marchent très mal avec des supports conventionnels : les électrodes lisses comme support du colorants donnent des rendements dérisoires. On travaillait sur des systèmes nanocristallins, on a essayé de sensibiliser ces particules avec des colorants et on a constaté que ça marchait très bien. Personne n’y croyait, j’emportais partout une cellule avec moi pour convaincre mes collègues ! Et puis il y a eu un essor énorme de recherche, et des développements industriels. On peut utiliser cette cellule pour faire du verre coloré qui capte les photons des deux côtés et qu’on place sur des balustrades et des façades. La cellule à colorant est imbattable sur la captation de la lumière ambiante, avec de très hauts rendements.
« On est au seuil d’un développement industriel des cellules perovskite. »
Le perovskite, ça date de 2009. Au lieu de molécules organiques, des chercheurs japonais ont commencé à utiliser du perovskite pour sensibiliser nos cellules. Ensuite, en 2012, plusieurs groupes, dont le nôtre, ont remplacé l’électrolyte par des conducteurs de trous solides. On a commencé avec des rendements de l’ordre de 3 %, et aujourd’hui on est à 25,5 % : c’est déjà mieux que le silicium polycristallin. Se développent aussi des solutions hybrides qui combinent les piles silicium avec les perovskites. En dix ans, c’est devenu une avalanche : il y a eu plus de 15 000 publications sur les perovskites, toutes sortes d’industries ont des productions pilotes. On est au seuil d’un développement industriel.
Au plan mondial, le photovoltaïque ne contribue qu’à 0,5 % de l’approvisionnement énergétique. Aujourd’hui, la consommation de puissance mondiale est de 18 Térawatts, et elle va passer à 50 d’ici 50 ans. Le photovoltaïque doit donc impérativement augmenter sa capacité d’un facteur 200 dans le même temps pour prendre le relais des sources fossiles, si on veut tenir les objectifs de la COP21.
« Le photovoltaïque doit augmenter sa capacité d’un facteur 200 dans les cinquante prochaines années. »
Les perovskites ont un rôle important à jouer, notamment parce que les marges sont trop faibles dans le silicium, ce qui limite la capacité d’investissement, et parce que son empreinte carbone reste élevée. Le perovskite utilise également beaucoup moins de matériaux, puisqu’on travaille avec des couches 500 fois plus minces que celles de silicium. Ce n’est pas une solution parfaite : ce sont des composés qui contiennent du plomb, et leur stabilité n’a pas encore été testée suffisamment dehors, en conditions réelles. Mais il y a énormément de recherche, des découvertes qui montrent des effets extraordinaires. On est sur une très belle piste.
C’est un sujet extrêmement important, et c’est le troisième pilier de notre recherche. Le solar-to-fuel est un secteur qui croît en Europe : l’Union européenne soutient la conversion de CO2 en produits chimiques qui peuvent être utilisés comme sources d’énergie, comme l’hydrogène. Nous y croyons absolument. Nous travaillons par exemple sur la conversion de CO2 en éthylène, et on a réussi à photolyser l’eau, à la dissocier en hydrogène et oxygène, avec un rendement dépassant les 18%. C’est très élevé, je n’aurais jamais osé y croire ! C’est un domaine absolument porteur.
« Nous croyons absolument dans le solar-to-fuel. C’est l’avenir. »
Le transfert industriel est déjà en train de se faire. En Allemagne par exemple, la partie énergie de Siemens développe des photosystèmes qui produisent du monoxyde de carbone à partir du CO2, à la suite de quoi une réaction biologique forme des alcools, sans appui énergétique. La conversion de CO2 en éthylène est aussi un sujet qui fait rêver les pétroliers ! Nous travaillons avec sept ou huit autres laboratoires au niveau européen sur ce sujet ; la tâche des industriels associés est d’augmenter l’échelle. Le solar-to-fuel, c’est l’avenir. Il faut attaquer ce défi de plusieurs façons, et si on a des gens compétents qui font leur travail avec acharnement, je crois qu’on aura du succès.
On parle ici de deux grandes approches : d’un côté la photo-électrolyse, de l’autre la photo-catalyse. Dans le premier cas, la combinaison des piles photovoltaïques avec des électrolyseurs a le vent en poupe, car ils sont plus simples à réaliser et ont des rendements plus élevés. Mais il y a encore des défis, notamment sur la photocatalyse : il faudra investir du temps et de l’expertise pour rendre ces systèmes stables. Il nous faut développer de nouveaux catalyseurs qui réduisent les pertes électrochimiques et augmentent les rendements.
Du côté de la réduction de l’eau en hydrogène, les catalyseurs utilisent des métaux nobles ou toxiques : il faut donc développer des catalyseurs avec des matériaux plus abondants. De plus en plus de gens s’intéressent à ces questions, c’est un domaine absolument porteur.
Tout est une question de prix : si on veut vendre de l’hydrogène, il faut qu’il coûte moins de 4 € le kilo. Si le système photovoltaïque et électrolyse permet de faire de l’hydrogène à ce prix, on peut aller sur le marché. Pour ce qui concerne la réduction du CO2, Siemens a des installations pilotes à la sortie de ses usines, qui captent le CO2 et le convertissent grâce à la lumière du soleil et l’électrocatalyse. Ça a donc déjà quitté les laboratoires, et les calculs montrent que c’est rentable. Aujourd’hui, l’hydrogène vient de sources fossiles, mais le CO2 va devenir payant : c’est là qu’il y a aussi une bonne chance pour l’hydrogène solaire. D’ici cinq ans, je pense qu’on verra apparaître les premières installations.
Ils ont tout ce qu’il faut, c’est enviable comme situation ! La France a une puissance et une excellence de recherche énormes, particulièrement dans ce domaine. Il est important d’abolir les barrières entre les disciplines et les types d’acteurs car personne ne peut résoudre ces problématiques seul : les défis sont énormes, il reste beaucoup à surmonter. Toute cette spécialisation et cette expertise dont dispose l’IPVF, c’est à mon avis un énorme avantage.
« Il est important d’abolir les barrières entre les disciplines et les types d’acteurs pour surmonter ces défis. »
Ceci étant dit, la recherche de base reste très importante, c’est la clé de tout. La liberté et la curiosité du chercheur, sa motivation, c’est fondamental.
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